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Gay Spirit
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8 novembre 2010

Roman philosophique : les portes de Neko (épilogue)

NEKO

Cinq jours après son admission à l’hôpital, Antoine sortit donc du comas où il était plongé depuis son agression. Ce qu’il vit en ouvrant les yeux, ce fut d’abord son compagnon, Adrien. Ses yeux cernés, sa barbe déjà fournie, ses cheveux emmêlés en formulaient plus que tout le reste sur les journées terribles qu’il avait traversées. L’infirmière révéla que son ami si dévoué avait passé l’essentiel de son temps à ses côtés, qu’il lui avait beaucoup parlé et ne l’avait laissé que pour sortir quelques minutes prendre une douche ou chercher le courrier, c’était tout. Antoine en fut extrêmement touché.

Deux opérations s’étaient avérées nécessaires afin de réparer les lésions internes qu’il avait subies. Le problème fut surtout la transfusion sanguine. Antoine était d’un groupe très rare, qu’il partageait d’ailleurs avec son compagnon. Adrien accepta qu’on prélevât du sang sur lui, afin d’accélérer les suites chirurgicales. Pour cette fois, on passa au-dessus du fait qu’il était gay. Les homos ne pouvant, toujours pas, donner leur sang et par cela, sauver des vies. C’était donc à présent une partie du sang d’Adrien qui coulait, envers et contre tout, dans les veines du jeune homme. Pendant le temps que cette opération nécessita, l’étudiant ne quitta pas Antoine des yeux une seule seconde. Pour une obscure raison, il songea à l’empereur Hadrien, qu’il avait étudié au cours d’histoire, et qui fut, paraît-il, sauvé, selon la célèbre légende, par son amant Antinoüs, qui s’était sacrifié afin qu’il pût guérir. Adrien songea très bizarrement que s’il fallait donner l’entièreté de son sang pour la survie d’Antoine, il le ferait. Dût-il même en mourir !

Quelques jours après la sortie du comas, Antoine confia à son ami qu’il ne conservait absolument aucun souvenir de ce qu’il avait vécu pendant cette sorte de « parenthèses ». Avait-il vu la si fameuse lumière dont on parlait parfois, avec le grand tunnel et tout le bataclan ? Non, absolument pas. En tout cas, il n’en gardait pas la mémoire.

Les agresseurs furent retrouvés et condamnés à plusieurs mois de prison, à la très grande surprise des deux amants.

Pendant plusieurs mois néanmoins, le jeune garçon se réveilla fréquemment, en sueur. Non parce qu’il revivait son agression, mais bien au contraire parce qu’il se rêvait dans un temple mystérieux où la statue d’un dieu avait été substituée par un phallus énorme.

Après leur voyage en Bretagne, reporté en septembre, qu’il entreprit, muni d’une bonne paire de béquilles, Antoine entama des études, très  simples mais efficaces, pour devenir pépiniériste. Le premier arbre qu’il planta, lors des travaux pratiques, fut un pommier. A nouveau, il ne comprit pas pourquoi des larmes lui coulaient. Et encore moins pourquoi il ressentait confusément qu’en tant que gay c’était précisément ce qu’il fallait qu’il fît.

Adrien devint enseignant. De littérature, plus précisément. Antoine ouvrit, quant à lui, son propre commerce où il considérait ses arbres comme ses enfants. Il les chérissait, leur parlait, les taillait, prodiguait moult conseils à ses clients quand ils les emportaient. Il se sentait souvent très seul. Toutefois, il ne gagnait certainement pas suffisamment pour embaucher quelqu’un. Alors, il assuma cette solitude.

Lorsque la France autorisa enfin le mariage gay, le couple décida néanmoins de ne pas en franchir le pas. En revanche, ils adoptèrent une petite fille qu’ils nommèrent Lavandine, un prénom que l’officier d’état civil eut bien du mal à retranscrire sans pouffer.  Pourtant, c’est bien joli, non, Lavandine ?

Antoine écrivit pour un blog quelques billets plutôt amers afin de dénoncer l’homophobie des religions monothéistes. Adrien en fut étonné car il croyait très sincèrement que son ami était viscéralement athée.

« La toute dernière révolution des gays sera spirituelle. Les religions du monde doivent les accepter tels qu’ils sont.» Ce fut la seule réponse qu’il reçut du gardien des arbres qu’Antoine, avec le temps, était sincèrement devenu. Pourtant, très paradoxalement, jamais il ne vénéra un seul dieu. Il pensait honnêtement qu’après la mort, on disparaît. Que seuls les arbres ont une vie longue. Il affirmait que l’après-vie n’existe pas. Il ne se souvenait pas de l’avoir abordée.

Fidèle à la pensée qui était sienne avant son agression, Antoine, jamais, n’accepta cette idée, qu’il jugeait saugrenue, d’une quelconque identité gaye, tout comme il refusait la notion même de communauté homosexuelle. « Etiqueter les gens comme « gays » ou bien « lesbiennes » est la première des marches qui conduit au nazisme, disait-il. Mon identité n’est pas d’être gay, pas plus qu’elle ne l’est d’être français. Je suis ce que je suis, un mélange, point barre. Lui seul me définit.»

Un jour, il construisit une cabane en bois, très sommaire. Il s’y installa pour quelques temps au cœur d’un chêne plusieurs fois centenaire que des entrepreneurs voulaient faire arracher. Cette ardeur défensive des valeurs de l’écologie, Adrien l’avait vue multipliée par dix depuis leur agression. Sans qu’il ne puisse, pourtant, en cerner la raison.

« Les rois sont éternels », fut le seul argument qu’il prononça pour sa défense en hurlant quand des policiers vinrent l’arracher au maître vénérable qu’il serrait nerveusement de ses bras. « Les chênes ne peuvent mourir, vous m’entendez ? Jamais. C’est un crime contre la vie de détruire un arbre pareil. Vous êtes en train d’assassiner toute la mémoire d’un peuple. »

Adrien trouva ce discours glaçant. Il en conçut une frayeur légitime mais il se tut et laissa faire. Il constata également de bien étranges comportements chez son ami. Rares, heureusement, mais tout de même en suffisance pour être notés.

Par exemple, un jour qu’ils visitaient un ancien hôpital, en Belgique, Antoine tomba mystérieusement en arrêt devant un tableau fabuleux représentant un Christ avec des seins. Pour une raison inexpliquée, il se mit à pleurer. Il ne put dire pourquoi.

Une autre fois, en Inde, ils assistèrent à une étrange cérémonie religieuse. Un de ces prétendus eunuques qui officiaient se rua sur Antoine comme s’il le connaissait depuis toujours. Il cria dans sa langue, lui caressant les joues. Contre toute attente, au lieu de s’enfuir comme il l’aurait probablement fait dans toute autre circonstance, Antoine le serra contre lui et l’embrassa sur les pommettes.

Quand Adrien lui demanda pourquoi, il répondit seulement que son visage lui disait quelque chose.

Depuis les vingt années qu’ils sont ensemble, Antoine et Adrien ont parcouru de très nombreux endroits, visité une foule de pays et rencontré une multitude de gens. Le plus souvent, la plus terrifiante des difficultés fut de chercher tout simplement le moyen le moins polluant pour accomplir ce périple. Ce ne fut pas une sinécure, loin de là !

Un rêve secret, qu’il ne peut expliquer, palpite néanmoins dans le cœur du gardien des arbres. Il souhaiterait le réaliser avant sa mort.

Il voudrait en effet se rendre à Karmoy, tout près de Haugesund, en Norvège. Il souhaiterait s’y promener sur la plage, avec son compagnon, y méditer près des rochers et y poser, aussi, une magnifique couronne de fleurs, de préférence parsemée de plumes de faucon. Une part de lui lui souffle que ce serait une manière épatante de rendre hommage à ses ancêtres, voilà tout.

Il en ignore totalement la raison. De son voyage à Neko, il a tout oublié. Il est juste devenu ce qu’il avait décidé de devenir. Gardien des arbres. C’est, à présent, la seule empreinte laissée en lui par son périple en terre des morts.

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