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Gay Spirit
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19 octobre 2010

Nouvelle : le bain de l'ondin

galerie20

Il était une fois deux dames que l’on disait vieilles filles selon la pudeur légendaire qui veut que deux femmes seules, mais qui vivent néanmoins ensemble, sont forcément célibataires. Il n’en était rien, comme vous vous en doutez. Océane et Sylviane, vu que c’étaient leurs noms, formaient un couple. Elles étaient amoureuses.

Sylviane était une véritable écologiste, férue d’ancienne cuisine végétalienne, et bricoleuse, en plus, ce qui l’avait autorisée à installer, dans le fond du jardin, une éolienne artisanale qui fournissait au couple un semblant d’électricité dont elles étaient pleinement satisfaites. Sylviane portait les cheveux longs, ce qu’elle adorait, et dédiait ses prières à la Déesse plutôt qu’à Dieu. Elle rêvait par ailleurs silencieusement d’un monde où Dieu ne se contenterait pas d’être Père mais où il aurait également, soyons folles, une poitrine généreuse, dégoulinant d’un lait d’amour. Un dieu aimant, qui n’accablerait pas ses enfants des péchés les plus vils, ce ne peut être qu’une femme, c’est évident.

Océane, quant-à-elle, écrivait des romans. Elle était moins écolo-socio-cul que sa douce bien-aimée. Ses cheveux étaient courts et ses yeux étaient bleus. Voilà pour son physique. Sa joie secrète était d’aimer Sylviane. Son insolence, que les voisins s’imaginassent encore qu’elles étaient soeurs. Pour ce qui est de Dieu, elle se contrefichait d’imaginer une paire de loches en lieu et place de sa longue barbe blanche.

Les deux amantes étaient heureuses, du moins, en apparence. Car il manquait, il faut le dire, quelque chose à leur vie. Quelque chose ou plutôt quelqu’un. Un enfant. Un bébé. Elles aimeraient tellement un enfant à elle, tombé tout cru de leur amour. Pas question néanmoins d’un voyage en Belgique pour s’amuser avec une éprouvette. L’intervention d’un homme, même limitée à une masturbation, n’était pas désirée. Alors quoi donc ? L’adoption ? C’était possible, bien sûr, mais cet enfant ne serait pas né de leur chair. Le clonage ? Diantre, non ! Il ne serait issu, ce bébé clone, que d’une seule d’entre elles et non d’elles deux. Alors ?

Force était d’accepter que la science ne pouvait rien pour elle. Impossible à cette heure de concevoir un enfant venu du matériel génétique mélangé de deux femmes, fussent-elles amantes et maternelles. Aucun chaudron scientifique n’étant disposé à cette œuvre, ce que la médecine refusait, la sorcellerie le pourrait néanmoins, non ?

Cela valait le coup d’essayer.

Un beau jour, voilà Sylviane qui traîne son Océane chez la macrale du coin, cloîtrée dans sa maison, à la lisière de tout. Dans une pièce sombre gorgée de potions crachotantes, la sorcière les reçoit, touillant non pas dans un chaudron mais dans une tasse de thé brûlant. Hochant du chef, la vieille opine. Oui, bien sûr, elle comprend, elles aimeraient un enfant. Oui, c’est fort naturel, elles voudraient un bébé issu de leurs deux chairs. Non, la médecine n’y peut grand-chose. La sorcellerie ? Ah oui, peut-être. On pourrait essayer. L’ensorceleuse se lève et fouille dans une armoire. Armée d’un coutelas à moitié rouillé, elle se retourne sur les deux femmes, l’œil plus sadique qu’un confesseur : Je crois que je le puis mais vous le comprenez, j’ai besoin de votre sang à chacune.

-Notre sang ?, hoquètent-elles de concert.

-Cela sera plus efficace qu’une mèche de cheveux, je vous l’assure.

Sylviane et Océane se regardent toutes les deux, terrifiée. Quoi donc, le désirent-elles vraiment ? Oui, elles le veulent. C’est donc dans un bréchet joyeusement ébréché qu’elles mélangent la substance ferrugineuse et chaude, coulée droit de leurs veines. La sorcière y va avec cœur. Incantations, serments, conjurations, évocations, tout y passe. La séance terminée, elle recueille le sang mélangé, le passe dans la chapelure et en fait une boulette minuscule. A charge pour Océane de la manger à présent. Et avec gourmandise, s’il vous plaît. Ecoeurée par ces mœurs cannibales, la jeune femme s’exécute du bout des lèvres.

-Allons, ma chérie, c’est pour notre enfant.

La cause le valant bien, voilà la boulette de sang chaud boulottée. Délestées de quelques euros, elles s’en retournent chez elles, étonnées, pour tout dire sceptiques. Les journées filent, puis les semaines. Avec stupeur, elles observent le ventre d’Océane qui de plat devient rond. Se pourrait-il qu’elle soie enceinte ? Oui, il se peut. Le médecin le confirme. Et le gynécologue après lui. Muettes quant au mystère de la conception de l’enfant, Sylviane et Océane se préparent dans la joie à la naissance de la fillette. Car ce ne peut-être qu’une fillette, n’est-ce pas ? Non, elles n’ont pas voulu connaître le sexe de l’enfant. Elles sont sûres de leur coup. Parfaitement. Née de leurs deux chairs féminines, ce sera une femelle.

Neuf signes zodiacaux plus tard, alors que le soleil entrait en Vierge, Océane perd les eaux, en plein après-midi de canicule. C’est vers vingt heures que l’enfant naît. Rond, Jovial, les yeux bleus de sa mère et le nez de son autre mère. A ce détail pourtant : c’est un garçon. Se pourrait-il que de deux femmes, un garçon naisse ? Dans quelle paire de chromosomes X s’est donc caché le Y ? Ni le médecin ni la sorcière n’en savent goutte. La dernière jure pourtant, le nez plongé dans une obscure préparation d’absinthe que ce garçon n’en est pas un. A son adolescence, il perdra coucougnettes et quéquettes comme de vulgaires bouts de viande sèches. Ses seins pousseront. Ses règles couleront. Et une pulpeuse jeunette il deviendra. C’est une question de temps.

Océane et Sylviane se sont pas promptes à croire en cette transformation magique. Mais après tout, était-il davantage vraisemblable qu’au mélange de leurs sangs dans une couronne de chapelure l’une d’elles tombât enceinte ? Certes non. Elles rentrent donc chez elles, encore plus sceptiques que la première fois.

Le garçon subit l’outrage du baptême et proteste quand on le nomme Claude. Le temps passe, circulaire, au rythme des saisons. Claude passe des couches culottes au ballon de foot-ball. Il dédaigne les poupées barbies et leur préfère les billes, plus tard, il aimera les bars, c’est sûr. Champion de la castagne, il revient quelques fois, le nez sanglant et l’œil noircit. « Ils ont dit, à l’école que mes mères sont de vieilles salopes. Je les ai frappés, tout de go. Ils iront pleurer dans les jupes des leurs ». Sylviane le réprimande. Océane, elle, sourit. Le petit gars défend ses deux mamans. N’est-ce pas joli après tout ? Le temps passe, inlassable, incassable, et le garçon grandit. A le voir démonter les radios, grimper aux arbres et pisser sur leurs troncs, elles songent quand même que leur enfant fera une fille bien singulière. Mais après tout qu’importe. Qu’importe si ce n’est que…Dans leur cœur bien-aimant et dans le fond tréfonds de leur maternité, les deux mamans le sentent. Garçon il est né certes. D’accord encore elles auraient préféré une fille. Mais fille, après quinze ans de jeu et d’amour tendre avec ce garçonnet, elles ne veulent pas qu’il le devienne. Couillu il est venu. Couillu il doit rester. C’est leur souhait désormais.

C’est ainsi qu’un beau jour de mai, Sylviane retourne voir la sorcière. Comme toutes les créatures de son espèce, celle-ci ne vieillit plus et survit d’âge en âge, toujours plus moche et, surtout, toujours plus féroce.

-Tu veux qu’il reste un mâle ?, jappe-t-elle, baveuse. Oui, c’est possible. Mais il faudra payer le prix.

-Mon prix sera le vôtre, répond Sylviane, timide.

-Ce sera tes cheveux, grimace la ténébreuse. Ses couilles contre ta chevelure. Telle est mon prix.

Sylviane porte les mains sur sa poitrine. Ses cheveux ? Mais…

La vieille s’est déjà emparée d’une tondeuse à mouton et s’approche d’elle, fiévreuse.

-Bois donc un peu de ce vin chaud, pauvrette. Cela t’occupera l’esprit tandis que je te besognerai.

La pauvre mère s’assied, transie, vaincue, les yeux baissés. Allons, s’il faut cela, c’est finalement bien peu payer. Bien vite, ses cheveux tombent tout autour d’elle, telles de vieilles loques malades et poussiéreuses. Pour tromper sa terreur, elle accepte le vin chaud. Elle se sent épuisée, malheureuse, pour tout dire, fourbue. Une fois plongée dans un profond sommeil, c’est chauve qu’elle se retrouve, enfermée au  fond d’un placard, scellé, bardé de chaînes. La sorcière l’a bien eue.

Couverte de ses cheveux retressés à la hâte, la vieille macrale sort de chez elle. Elle sait parfaitement où elle va. Elle ricane de bonheur à cette idée chaude à son cœur.

Dans la petite maison où il habite avec ses mères, Claude, lui, se baigne. C’est une chose qu’il adore. L’eau l’émoustille. La pluie même le régale. La piscine l’enivre de bonheur. La douche le comble et le bain lui est un délice. Un vrai ondin en somme.

-C’est toi, maman ?, demande-t-il, entendant la porte de la salle de bain s’ouvrir. C’est reposant, comme question, quand quelque soit celle des deux qui se présente, elle peut lui répondre « oui ».

-Tu veux bien me laver le dos ?

-Bien sûr mon chéri.

Une longue chevelure douce se verse sur ses épaules tandis que le gant de toilette danse lentement sur sa peau nue. Claude sourit. Il se penche. Ah qu’il est bon de prendre un bain.

C’est à ce moment que, terrifié, il voit valser dans les reflets de l’eau, au milieu de la mousse, un visage affolant qui n’est pas celui de sa mère. Pourtant, oui, ce sont bien ses cheveux. Dans un geste vif, plus vigoureux, plus fort, que celui d’un homme mûr, le garçon se retourne.

La bouche tordue, haineuse, la main armée d’un couteau aussi long qu’un sabre, la sorcière le contemple.

-Qui êtes vous ? Que voulez-vous ?, souffle-t-il.

-Faire de toi une fille, hurle-t-elle en se précipitant sur lui.

Claude reçoit sur le corps la masse nerveuse de la sorcière. Les mains sur le bas-ventre, il tente de se défendre d’un coup d’épaule ou de tête bien placée. Il hurle. Sur lui, le corps de la sorcière se fige. Il le sent s’amollir, se détendre, s’étourdir. Doucement, elle glisse dans la baignoire. C’est alors qu’il perçoit, en même temps, un couteau de cuisine, ensanglanté, planté dans le dos de la vieille, et , derrière,  le visage endolori de sa mère Océane, haletante.

-Je crois, dit-elle, que nous devons aller sauver ta mère.

C’est ainsi donc que Claude demeura un garçon.

Il quitta ses deux mères à vingt ans passés, après trois ans d’étude.

On dit partout dans le village que les deux vieilles filles, qui n’en sont pas, ont de quoi être fière de leur fils. Personne ne dit pourquoi, c’est vrai. Mais tout le monde le sait. Et vous aussi maintenant que vous avez lu cette histoire.

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