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8 août 2010

Roman : les portes de Neko (1)

NEKO

"Les Portes de Neko" est un roman philosophique que j'ai écrit début 2010. Il décrit le voyage initiatique d'un jeune homo en terre des morts. Un voyage dont le but est de répondre à cette question : "quelle est sa place dans la grande tribu de l'arc-en-ciel ?" En voici le premier chapitre.

Au-delà de l'horreur.

Où la réussite d’un baccalauréat se transforme rapidement en cauchemar.

— Ici, cette ligne-là, tu la vois ? C’est mon nom ! Yes, je suis reçu.

Les résultats du baccalauréat sont la plupart du temps l’occasion d’observer une faune stressée, fiévreuse, au comble du désespoir et de l’attente. Antoine Lesieur, dix-sept ans et trois quarts, rayonnait, quant-à-lui, d’une franche gaieté exubérante ; il écrasait le nez de son ami contre le tableau d’affichage.

—  Et avec mention « bien » par-dessus le marché, te rends-tu compte ?

Antoine ne sentait plus sa joie. Il exultait. Ça y était ! Il l’avait, oui, enfin, ce putain de bac’.

— Ma mère ne me fera plus chier, je suis libre, tu entends, libre, poursuivit-il aux anges, secouant son compère tel un pommier chargé de fruits.

Ces vacances, ah ça oui, ils allaient bien en profiter, à fond la caisse, à s’en péter la couenne d’extase. Ils se l’étaient jurés, promis, crachés, cela serait d’enfer. Ni plus ni moins. Ils l’avaient mé-ri-té !

Adrien et Antoine se connaissaient à peine pourtant. Depuis un peu plus de deux mois, pour être plus précis. A dire vrai, ils étaient amants. Mieux encore, ils avaient tout bonnement perdu leur pucelage ensemble. Pourtant, ils s’étaient rencontrés de manière très anecdotique, il faut dire. Dans une librairie de quartier, poussiéreuse et fétide, joignant deux ruelles misérables. Un lieu gaiement sordide, que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui, dans ce langage ésotérique aseptisé devenu nôtre, d’ « économiquement défavorisé . » Antoine feuilletait nonchalamment un bouquin usé jusqu’aux cordes. Un amerloque pédé assez célèbre.  Une véritable attrape-gay intello-socio-cu, ce genre d’auteur. Plus proche du cinquantenaire mélancolique que du jeune frétillant, mais tout de même, il plaisait à Antoine. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’Adrien, étudiant en littérature, petit et blond, l’avait repéré tout de suite. Il lui avait tourné autour, tel un oiseau de proie appréciant un cadavre. Il s’était rapproché, l’air de rien, scrutateur. Antoine s’était mis à suer, il en avait le slip trempé ; il s’inquiétait de deviner quand il allait lui fondre dessus. Enfin, le jeune chasseur s’était décidé tout de go. Il l’avait branché gentiment, style « je connais l’auteur, il écrit super bien. Prends celui-là plutôt, ça va te plaire, chuis sûr », renversant du même coup une pile de livres de l’étalage.

Antoine en pinçait lourdement pour les largués paumés ascendant maladroit. Il avait même trouvé que c’était, somme toute, agréable d’être dragué de cette façon. Archaïque, certes, mais efficace. D’après tous les ouï-dire dont il avait gobé les frais mensonges, les gays auraient plutôt pour habitude de s’en aller séduire leurs proies en chinant dans les bars, cherchant la bonne affaire, l’air de rien, en sirotant une bière. Comme s’ils étaient à la brocante, en fait. Pire encore, il était fort possible d’avoir recours tout simplement aux vapeurs du sauna, voire même à internet. La différence étant que sur trois fois double you point Gé envie de baiser un fauve double you point com, on n’est jamais trop sûr que le brave type qui vous tirera du lit à vingt-trois heures est réellement, in-du-bi-ta-ble-ment, le même, pile poil, que sur la photo retouchée de son profil,  toujours forcément très avantageuse voire franchement mensongère.

Lui, par contre... Hmmm ! Il savourait le caractère fort inédit de leur rencontre, si rare chez les jeunes folles du siècle numéro vingt et un. Il avait tapiné son mec dans une vieille bouquinerie, fleurant bon la pisse de souris et le papier moisi. C’est plus original tout de même ! Il était tombé là sous le charme absolu d’un garçon plus âgé, déjà depuis trois ans à l’université, presque sorti des facs en fait. Un superbe blondinet à tomber sur les fesses, barbu de trois journées, oreille cicatrisant d’un piercing retiré, tatouage sur l’épaule. Une haleine de chaton. Un don du ciel pour caresser, il vous touchait le corps pareil à s’il léchait une froide statue antique, précieuse et rare, avec un luxe de précautions et de délicatesses. Il détenait aussi la sublime habitude de chanter sous la douche. Pas du rap, non, pitié ! Des mélodies des années trente, plutôt, du genre pour divas fatiguées, à l’eau de rose, bien sucrées, ruisselantes de guimauve. Adrien était un trésor. Antoine l’avait déterré de son île sans en avoir jamais connu la carte d’accès. Il serait un piètre pirate ! Il était parvenu, néanmoins, à le sortir de sa chambre d’étudiant pour le traîner au cinéma pour deux ou trois soirées. Le reste du temps, oh fichtre, ils l’avaient passé très bêtement, à étudier, pour réussir leurs examens, tels de braves post-ados. Quoi de plus normal en ce monde ?

La première fois, l’amour, ils l’avaient fait en potassant ensemble, cloîtrés dans la chambre d’Adrien. Ou, pour dire vrai, entre deux révisions, ce qui serait plus juste.

Le pauvre n’y tenait plus.

Cela s’avéra carrément magnifique. Une première fois pareille, il la souhaitait à n’importe qui. La douceur d’Adrien était franchement miraculeuse.

A présent qu’il l’avait, ce foutu bac, il allait bien les savourer, ces satanées vacances. Tous les deux, nom de Dieu ! Un trip en auto stop, jusqu’en Bretagne. Non mais, rendez-vous compte !

— Demain, mon vieux, demain, on va acheter la tente. J’en veux une qui se monte toute seule, tu m’entends bien, qu’on n’a qu’à la jeter comme ça, paf, et zou, elle se déplie comme par magie, tu vois, hein ? C’est une pareille que j’veux, t’es d’ac ? T’es d’ac ?

Bien sûr qu’il était d’ac, Adrien. Antoine pouvait lui demander n’importe quoi, de toute manière, il agréait. Ils s’offraient quelques engueulades, parfois, bon, comme tout le monde. Néanmoins, ça restait assez rare. Un curieux défaut affligeait Antoine, il est vrai. Il arrivait systématiquement en retard à leurs rendez-vous. La ponctualité ne figurait en rien dans le listing de ses vertus. Adrien, lui, se pointait fréquemment à l’avance. D’une généreuse demi-heure, voire davantage.  Il poireautait alors en pestant comme un chat attaché sous la pluie. Pouvait-on imputer la faute à Antoine ? Somme toute, c’était juste Adrien qui arrivait trop tôt.

— Je t’attends déjà depuis une demi-heure, moi, monsieur.

— Bah ! Peut-être bien, fallait pas arriver en avance, voilà tout. C’est ta faute.

Il adorait, Antoine, rejeter toute et entière responsabilité autrui. « Je suis bien désolé, mon doux trésor chéri d’amour en sucre au beurre fondu, il me va falloir décevoir ta fierté exigeante et t’inviter, mon pain d’épices béni, à admettre, devant Dieu, Lucifer et tous les anges du multivers que c’est ta pleine faute toute entière. » Ah ! Comme il aimait ça ! « C’est ta faute ! » Cette phrase, il la gardait comprimée sur le bout de la langue, prête à sauter tel un ressort à la moindre occasion. La plupart du temps, il ne pouvait trouver d’ailleurs aucun motif qui lui permît, avec raison, de jeter l’opprobre sur son Adrien. Cela participait, benoîtement, de leurs jeux. Des chamailleries gentilles d’amoureux post-pubères.

— On va s’en boire un, de verre ? demanda Adrien, timidement.

Okay trésor, mais pas avec les autres, alors. Je n’en ai rien à fiche de leurs sauteries d’hétéros explosés d’hormones. La seule chose que je veux, là, maintenant ne consiste en rien d’autre que fêter dignement ma réussite. J’entends par là en amoureux, en ta seule compagnie, gloussa-t-il.

Son compagnon haussa les épaules nerveusement puis se pressa. En vrai, il avait faim. Il sonnait d’ailleurs dix-neuf heures. Son estomac criait famine. Il ne fallait surtout pas jouer avec son appétit. Le manque de nourriture le rendait agressif.

Ils se rendirent chez l’Italien comme d’habitude. Ils s’assirent à une table très joliment nappée de blanc, engloutirent les antipasti puis commandèrent sans plus attendre un maxi spaghetti bolognaise pour Antoine ainsi que des tagliatelles pour Adrien. Ils s’offrirent une bouteille de vin rouge également. Cela n’entrait pas trop dans leurs usages mais tout de même, là, ils célébraient une réussite. Et non des moindres. Antoine avait son bac. Son bac !

— Il faudra malgré tout que tu réfléchisses à ce que tu vas faire à présent.

Rien de plus vrai ! Antoine n’était inscrit nulle pas. Il avait prétexté ne pas être certain de l’obtenir, son fichu papier. Alors, s’inscrire en fac, cela relevait de la science-fiction pure et simple. D’ailleurs, aucune des disciplines universitaires ne l’attirait. Alors ? Pourquoi diable entamer des études qui le rebuteraient vraisemblablement dès les deux premiers mois ? Il préférait regarder venir. Il avait le temps.

— Peut-être bien ! Mais tu n’as plus beaucoup le temps, en fait. La rentrée, c’est bientôt. La plupart des inscriptions sont déjà clôturées.

— Dans ce cas, je trouverai des petits boulots, c’est tout. Je commencerai l’année prochaine.

Antoine regardait au-dehors.  Il s’était mis à pleuvoir. Pour un début d’été, il était réussi. Il espérait qu’en Bretagne, tout du moins, la météo s’avérerait plus clémente.

— Quand il fait du soleil partout en France, tu peux être sûr qu’il pleut sur les côtes verdoyantes du Finistère, lui avait commenté Adrien, très sérieux.

— Une chose est néanmoins certaine, mon cœur. Je n’ai absolument aucune envie de passer ces vacances sans ta douce compagnie. Tu laisses tes chères études l’espace d’un mois (Adrien grimaça) puis nous partons ensemble. J’ai envie de voir Brocéliande, de me baigner dans l’océan et, surtout, de parcourir de ma plus belle nudité la folle béatitude de la baie du Mont saint Michel.

— Il est en Normandie, grimaça Adrien. Pas en Bretagne.

— Il se situe à la frontière, ne chicane pas. Nous descendrons vers Saint Malo puis nous longerons les côtes.

— Il faudra préparer des pulls, il fera froid là-bas.

Antoine haussa les deux sourcils. Tout de même, l’été ouvrait ses portes, non ? Pourquoi diantre se les gèleraient-ils ? Parfois, il ne pouvait s’empêcher de trouver Adrien pessimiste.

Ils enterrèrent chacun leurs pâtes sous une grosse mousse au chocolat avant de quémander l’addition au serveur. Il était grand, bouclé des cheveux comme du poil ; surtout, il babillait savoureusement le sicilien avec un accent espagnol à couper au couteau.

— Activons, activons, fit Adrien, pressé. Le film ne va pas nous attendre. Ils commenceront sans nous.

Ils avaient décidé de s’offrir une séance de toile. Antoine n’adorait rien de plus que se laisser aller sur l’épaule d’Adrien, l’embrasser dans le noir, lui caresser la cuisse, voire plus, si franches affinités.

Ils choisirent, bien évidemment, une comédie française, ce qui les dispenserait d’être attentifs. Pour une fois, ils ne se glissèrent pas dans la rangée du fond, déjà occupée par des couples manifestement affairés. Ils s’assirent au milieu et s’affalèrent, goulûment, l’un sur l’autre, nonchalants, engloutissant des chips, sirotant un soda, comme n’importe quel ado.

— Un film sans chips, c’est comme une baise sans capotes, plaisanta  Antoine vertement.

Cela n’amusait Adrien en aucun cas. Il détestait justement enfiler ces préservatifs. Il débandait à chaque fois, ce qui le plongeait, on peut le comprendre, dans une rage folle. Accentuée par le fou rire d’Antoine qui profitait toujours de l’occasion pour se moquer.

Quand ils sortirent du cinéma, la pluie s’intensifia. Les deux garçons se renfoncèrent dans leurs capuches et allongèrent le pas. Le soir était déjà tombé, il était même presque minuit.

— On va chez moi, je suppose, constata Adrien.

— Bah oui, ma p’tite corne de gazelle, tu sais bien que ma mère adoptive n’aime pas que je t’amène à la maison. Nous sommes bruyants, qu’elle dit.

Adrien ne sourit même pas. Il avait hâte d’être rentré chez lui. De plus, le quartier l’effrayait. C’était un des endroits où l’an passé, on avait incendié des voitures. Il ne se passait pas une seule journée sans qu’on ne signalât une infraction, un crime, un vol, une agression, bref, que des amusements.

Antoine suivait, lui, son compagnon comme son ombre. Il avait très envie de faire l’amour. Bientôt, ils dépassèrent l’impasse en plein cœur de laquelle ils avaient déjà dégusté la chose plusieurs fois. Adrien appréciait les bonnes ambiances rouillées, à l’américaine, entre tonneaux percés et containers sur bourrés d’immondices. Ça l’excitait beaucoup. Son côté furieusement cow-boy, comme il disait lui-même.

Cette fois, ce fut Antoine qui l’entraîna.

— Tu es fou ? Ce n’est pas du tout le moment, gémit son bel ami, dont le visage dégoulinait de pluie.

— Viens, je te dis, cela me donnera l’impression de faire ça sous la douche.

— Tu es totalement abruti, ronronna Adrien, visiblement attendri.

C’est donc joyeusement entassés dans une impasse puante, très vraisemblablement hantée par des rats citadins aussi gros que des chats qu’ils firent l’amour, pressés l’un contre l’autre, entourés de poubelles juteuses aux jupons déchirés, envoûtés de piquantes odeurs d’urine et ce, jusqu’à la transe mystique. Les fesses à l’air, ils satisfirent leurs folle envie de gourmandises, de dessert surchauffé, se dévorant les lèvres, se pinçant les tétins, se caressant la couenne, se délectant de cette ambiance sordide autant que d’un gâteau au miel.

— Cet endroit est totalement glauque, haleta Antoine. Jamais je ne comprendrai  pourquoi tu l’apprécies autant.

— En y faisant l’amour, nous en transcendons la laideur en même temps que la glaucitude, répondit Adrien, extasié.

Glaucitude. Encore un mot inventé ! Comme queeritude et gaytude. Des noms que dans ses chères études Adrien qualifiait volontiers de néologismes. Il appréciait jouer avec la langue. La sienne et celle des autres, bien sûr.

C’est donc dans cet endroit débordant de déchets et transpirant la glaucitude qu’ils transformèrent l’horreur du monde en un paradis rose, parfumé d’after-shave bon-marché mais fleurant bon la sueur masculine.

C’est là aussi que deux hommes les trouvèrent.

— Elles sont là, grogna le plus musclé d’entre eux.

Tous deux se mirent à avancer vers eux. Lentement.  Aussi sombres que les anges de la mort. Les yeux brûlés de haine. Les poings serrés sur des matraques aussi rigides que de la corne. Des bâtons vraisemblablement. Entourés de bandes sombres, caoutchouteuses, qu’ils tapotaient avec ferveur.

Lorsqu’il vit un couteau briller dans la main du plus grand des deux, Antoine comprit que la situation ne tournait vraiment pas à leur avantage.

— On s’est bien amusés au ciné, les deux tapettes ? cracha le gros qui transpirait la bière.

— C’est pas bien de se bécoter comme vous le faites en public. Il pourrait y avoir des mômes, ricana l’autre qui brandissait un coup de poing américain.

Antoine vit le plus grand plaquer Adrien sur le mur.

— Laissez-le, cria-t-il. Fichez-lui la paix.

— C’est donc bien ta copine, fit l’infâme brute épaisse. Jusqu’où tu vas aller pour le sauver ? ricana-t-il en pressant sa matraque sur ses fesses.

Le jeune homme sentit, dans son dos, courir la froideur du couteau. Son agresseur lui pressa brutalement le visage contre le mur moisi. La puanteur lui déchirait le nez. Le jeu de cette arme sur ses cuisses le faisait transpirer. Il avait peur. Il avait mal.

La suite se déroula à une vitesse surnaturelle.

Il sentit que quelqu’un lui arrachait son jeans.

Que ce quelqu’un lui déchirait la peau à la pointe de son arme.

Il s’aperçut alors que son sang se mettait à couler, chaud et sombre, sur ses jambes.

Il eut conscience que des poings nus s’écrasaient sur son corps, lui éclatant les côtes, lui explosant les joues et qu’une matraque lui labourait le dos.

Il entendit aussi son ami qui hurlait.

Il sentit le métal lui caresser l’anus.

Il sut que cette caresse était un cri de mort lancé par une déesse, quelque part, terrifiante, les cheveux couronnés de serpents. Il comprit qu’il allait mourir. Ce ne pouvait donc pas être autrement.

Qu’avait-il fait, mon Dieu, pour mériter cela ?


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